
Femme Trans des Années 1800 – La Vie de Lucy Hicks Anderson
L’une des idées reçues les plus répandues sur la transidentité est qu’il ne s’agirait que d’une tendance récente. Pourtant, la transidentité existait bien avant que les médias grand public ne commencent à en parler. Aujourd’hui, nous allons vous raconter la vie de Lucy Hicks Anderson, une femme transgenre qui a vécu dans les années 1800.
Oui, vous avez bien lu : les années 1800, et non les années 1980. Et si cela vous semble très vieux, sachez qu’il existe des récits de transidentité remontant jusqu’aux époques sumérienne et akkadienne. Mais ce n’est pas le sujet d’aujourd’hui, alors sans plus tarder…
Qui était Lucy Hicks Anderson ?
Cette mondaine afro-américaine transgenre est née en 1886 à Waddy, dans le Kentucky (États-Unis). Dès l’enfance, elle exprimait à quel point elle se sentait en décalage avec son corps. Elle insista au point de convaincre sa mère de la laisser porter des robes à l’école et de la traiter comme une fille.

Troublée par les émotions nouvelles de sa fille, sa mère demanda conseil à un médecin. Ce dernier recommanda de respecter l’identité de Lucy, y compris en cessant de l’appeler par son nom de naissance, Tobias.
Éducation
Il n’existe aucun témoignage indiquant si elle a été victime de harcèlement scolaire ou non. Mais à l’âge de quinze ans, Lucy mit fin à sa scolarité et commença à travailler comme femme de ménage.
Débuts professionnels et mariage
Ayant quitté sa famille dans le Kentucky, elle s’installa à Pecos, au Texas. Là, elle trouva un emploi de femme de chambre qu’elle occupa pendant plus de dix ans. En 1920, elle fit la rencontre d’un homme nommé Clarence Hicks. Elle l’épousa peu de temps après, avant de déménager avec lui à Oxnard, en Californie.
Poussée par de grands rêves, elle continua à travailler comme domestique. Grâce à ses économies, elle réussit à acheter un bien immobilier. L’acquisition d’une vieille pension fut le point de départ d’une carrière florissante, puisqu’elle transforma l’endroit en maison close.
Mondaine à Oxnard et maison close
Sa vie de mondaine débuta avec cette nouvelle aventure entrepreneuriale, en tant que propriétaire, gestionnaire et tenancière d’une maison close.

Tenancière de maison close à China Alley
Dans les années 1920, China Alley était connu comme un quartier où régnaient les jeux d’argent, les activités illicites et la consommation de substances contrôlées. Un cadre parfait pour son type d’activité. De nombreux clients fréquentant sa maison de plaisir étaient des hommes respectés et issus de la haute société.
L’hôtesse et la mondaine
Même si sa profession n’était pas exactement un modèle de puritanisme, elle jouissait d’un grand respect à Oxnard. Elle n’était pas seulement connue comme propriétaire de maison close, mais aussi reconnue comme cheffe et hôtesse. En 1926, elle remporta un concours culinaire, son flan ayant obtenu la première place — renforçant encore davantage sa réputation dans la communauté.
Elle aimait faire la fête et organisait de nombreux événements et réceptions, accueillant des invités fortunés venus de Los Angeles et de Ventura. Ses soirées étaient si marquantes que, le 3 août 1927, l’une de ses fêtes organisée au centre communautaire d’Oxnard fit l’objet d’un article dans le journal local.
En plus des événements mondains, elle était aussi connue pour organiser des fêtes de départ pour les soldats en partance pour la guerre et leurs familles. Bien qu’elle ait un véritable talent pour la cuisine et l’organisation d’événements, sa beauté remarquable jouait également un rôle important dans son succès.
Selon un article du magazine Time, cette femme élancée et imposante de 1,88 m avait un goût très raffiné pour la mode :
Elle portait des robes en soie vives et décolletées, laissant apparaître ses clavicules fines. Elle arborait de grands chapeaux à larges bords et des talons hauts. Ses perruques étaient sa fierté — une longue et ondulée noire, une courte et droite au carré, et pour les occasions spéciales, une perruque rousse aux épaules.
Arrestations, controverses et mariages
Son succès ne s’est pas fait sans obstacles, ni sans heurts avec les autorités.

Arrestation pendant la prohibition
En mai 1928, elle fut arrêtée lors d’une vaste opération, pour possession et vente de boissons alcoolisées. C’était pendant la période de la prohibition aux États-Unis, durant laquelle la production et la vente d’alcool étaient interdites.
Mais grâce aux relations qu’elle avait nouées en tant qu’hôtesse, elle fut libérée sous caution par Charles Donlon, un riche banquier bien connu à Oxnard. Il était censé assister à l’un de ses dîners mondains et ne voulait pas que l’événement soit annulé.
Des aveux forcés pour des crimes qu’elle n’avait pas commis
En 1927, elle accusa des adjoints du shérif du comté de Ventura de mauvaise conduite. Elle déclara que les agents l’avaient forcée, elle et une autre personne, à avouer des crimes qu’ils n’avaient pas commis. En l’occurrence, d’avoir versé des pots-de-vin au chef de la police pour pouvoir continuer à vivre à Oxnard.
Divorce et remariage
En 1929, après plusieurs années de mariage, elle divorça de son premier mari, Clarence Hicks. Quinze ans plus tard, en 1944, elle épousa un soldat nommé Reuben Anderson.
La révélation de son identité transgenre
Lucy avait réussi à vivre discrètement en tant que femme, mais en 1945, sa vie bascula dans l’une de ses périodes les plus éprouvantes — une période qui ferait d’elle une pionnière noire de la cause transgenre aux États-Unis.

Cette année-là, des membres de la marine basés dans la région furent touchés par une épidémie d’infections sexuellement transmissibles. Les autorités lancèrent alors une enquête sur les maisons closes autour de Los Angeles, y compris celle de Lucy. Les femmes y travaillant furent contraintes de subir des examens médicaux.
Lucy refusa — expliquant qu’elle ne proposait pas de services sexuels aux clients — mais sa demande fut ignorée. C’est lors de cet examen que les médecins découvrirent qu’elle avait été assignée homme à la naissance.
Parjure et héritage
Les médecins révélèrent leur découverte, et l’histoire de Lucy fit les gros titres dans toute la presse américaine.

Parjure dans le comté de Ventura
Elle fut accusée de parjure par le procureur du comté de Ventura pour avoir signé un acte de mariage avec « un autre » homme.
Lors de son procès, elle prononça une déclaration puissante sur sa condition de femme :
Je défie n’importe quel médecin au monde de prouver que je ne suis pas une femme.
déclara-t-elle devant la cour.
J’ai vécu, je me suis habillée, j’ai agi exactement selon ce que je suis : une femme. Seule une méchanceté mesquine essaie de me faire du mal et de me briser le cœur. Si l’on consacrait autant d’énergie aux vrais problèmes qui nuisent à cette communauté, les choses iraient bien mieux. J’ai vécu une bonne vie, une vie chrétienne… Je suis une bonne citoyenne depuis de nombreuses années dans cette ville, et je mourrai en bonne citoyenne.
Les personnes transgenres et le mariage
Grâce à son affaire, le manque de droits des personnes transgenres fut mis en lumière. Lucy Hicks Anderson est aujourd’hui considérée par beaucoup comme la première personne trans aux États-Unis à avoir lutté pour la reconnaissance de l’identité de genre et pour l’égalité des droits au mariage pour les personnes trans.